Dans un contexte de sécheresses à répétition, de restriction d’eau et de flambée des coûts de l’énergie, l’agrivoltaïsme et l’irrigation intelligente apparaissent comme un duo prometteur pour l’agriculture. Loin de se limiter à produire de l’électricité, les panneaux solaires peuvent devenir de véritables « outils de gestion de l’eau » pour les agriculteurs.
Comment les ombrières photovoltaïques influencent-elles l’évapotranspiration ? Quels liens concrets entre capteurs, algorithmes d’irrigation et production solaire ? Et surtout, que dit la loi française sur ces nouveaux systèmes ? Décryptage.
Agrivoltaïsme : quand l’ombre devient un atout hydrique
L’agrivoltaïsme consiste à installer des panneaux solaires au-dessus ou à proximité des cultures ou des pâturages, en veillant à maintenir une production agricole significative. En France, la loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables, complétée par le décret n° 2024-318 du 8 avril 2024, encadre désormais clairement cette pratique : un projet agrivoltaïque doit améliorer ou au minimum préserver la production agricole, notamment en apportant un service agronomique comme la protection contre les aléas climatiques ou l’optimisation de l’eau.
Sur le terrain, plusieurs effets bénéfiques sont déjà observés :
- Réduction de l’évapotranspiration : l’ombre partielle des panneaux diminue l’ensoleillement direct, ce qui réduit la température du sol et limite les pertes d’eau par évaporation. Des essais menés par l’INRAE et Sun’Agri sur la vigne et le maraîchage montrent des économies d’eau pouvant atteindre 20 à 30 % dans certains contextes, à production maintenue voire améliorée.
- Microclimat plus stable : sous les structures agrivoltaïques, les écarts de température jour/nuit sont souvent plus faibles, ce qui réduit le stress hydrique des plantes. Des études compilées par l’Agence de la transition écologique (ADEME, 2021) indiquent un gain potentiel en résilience face aux vagues de chaleur.
- Protection contre le vent : les structures peuvent diminuer légèrement la vitesse du vent au ras du sol, limitant encore l’évaporation et le dessèchement rapide des cultures.
Loin d’être un simple gadget, l’ombrière solaire devient donc un outil de pilotage indirect de l’eau, en agissant sur le climat local de la parcelle.
Quand le solaire alimente l’irrigation intelligente
L’autre atout de l’agrivoltaïsme, c’est l’énergie. Les panneaux produisent de l’électricité sur place, exactement là où se situent les besoins en pompage et en pilotage de l’irrigation. Un mariage idéal à l’heure où le coût de l’énergie pèse de plus en plus sur les exploitations.
L’irrigation intelligente s’appuie sur plusieurs briques technologiques :
- Capteurs d’humidité du sol (tensiomètres, sondes capacitives) pour mesurer en continu l’état hydrique des horizons où se situent les racines.
- Stations météo connectées qui fournissent température, humidité de l’air, rayonnement et vent, permettant de calculer l’évapotranspiration potentielle (ETP).
- Vannes et pompes pilotées automatiquement, alimentées par l’électricité photovoltaïque et activées seulement quand les seuils de stress hydrique sont atteints.
- Algorithmes de décision, parfois couplés à des modèles de croissance des cultures, qui définissent le bon moment et la bonne dose d’eau.
Grâce à l’énergie produite sur place, les systèmes peuvent fonctionner même en zone isolée, avec :
- des pompes solaires pour l’aspersion, le goutte-à-goutte ou la micro-irrigation,
- des batteries ou réservoirs surélevés jouant le rôle de stockage (électrique ou gravitaire),
- un pilotage fin en temps réel via des applications mobiles ou des interfaces web.
Selon la FAO, l’irrigation de précision permet déjà une économie d’eau de 20 à 40 % par rapport à une irrigation traditionnelle programmée à la « date fixe » (FAO, Save and Grow in practice, 2017). En combinant cette approche avec l’agrivoltaïsme, le potentiel d’optimisation est démultiplié : l’ombre réduit les besoins, et l’intelligence de l’arrosage évite le gaspillage.
Un pilotage intégré : panneaux, capteurs et algorithmes
Le vrai changement de paradigme vient de l’intégration complète entre la production solaire et la gestion de l’eau. Dans les systèmes les plus avancés, les panneaux eux-mêmes deviennent des acteurs du pilotage hydrique.
Voici comment cela peut fonctionner :
- Panneaux orientables : certains dispositifs agrivoltaïques, dits « dynamiques », peuvent modifier l’angle des panneaux en fonction de l’heure, de la météo et des besoins de la culture. Lors des périodes de forte chaleur et de stress hydrique, ils augmentent l’ombre pour limiter l’évapotranspiration ; en période plus fraîche, ils laissent passer davantage de lumière.
- Synchronisation avec la disponibilité en eau : les données des réservoirs, des nappes ou des réseaux d’irrigation sont intégrées au système. Si la ressource devient limitée, l’algorithme peut choisir de maximiser l’ombrière pour réduire les besoins en eau, quitte à ajuster légèrement la production électrique.
- Priorisation des usages : en temps réel, l’énergie solaire peut être arbitrée entre pompage d’eau, fonctionnement des capteurs, recharge de batteries ou injection sur le réseau. Le logiciel peut par exemple privilégier le pompage en milieu de journée, quand la production solaire est maximale.
Ce type d’architecture s’inscrit pleinement dans la logique de gestion intégrée des ressources en eau promue par les institutions internationales et par les politiques européennes. Les rapports du GIEC soulignent d’ailleurs que l’adaptation de l’agriculture au changement climatique passera par des systèmes combinant efficacité hydrique, production d’énergie renouvelable et innovation numérique (GIEC, 6e rapport d’évaluation, 2022).
Ce que dit la loi française sur l’agrivoltaïsme et la gestion de l’eau
Depuis 2023, le cadre juridique français s’est considérablement précisé. La loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 et ses textes d’application définissent l’agrivoltaïsme comme la production d’électricité photovoltaïque apportant à une production agricole un ou plusieurs services, parmi lesquels :
- la protection contre les aléas climatiques,
- l’amélioration du bien-être animal,
- ou encore l’adaptation aux effets du changement climatique (article L. 314-36 du Code de l’énergie, créé par cette loi).
L’optimisation de la gestion de l’eau s’inscrit clairement dans cet objectif d’adaptation. Les projets agrivoltaïques doivent démontrer, via des études agronomiques, qu’ils ne compromettent pas la vocation nourricière des terres et qu’ils apportent un bénéfice mesurable pour les cultures. Le décret n° 2024-318 du 8 avril 2024 précise les critères d’éligibilité, notamment :
- le maintien d’une production agricole significative sur la durée,
- la non-artificialisation des sols,
- l’accès continu aux terres pour l’exploitant agricole.
Par ailleurs, la loi Climat et Résilience (n° 2021-1104 du 22 août 2021) et les directives-cadres européennes sur l’eau (Directive 2000/60/CE) incitent à une gestion plus sobre et plus efficace de la ressource. Dans ce contexte, les systèmes d’irrigation intelligents, associant capteurs, données et adaptation en temps réel, sont encouragés dans de nombreux dispositifs d’aide (PAC, plans régionaux, appels à projets de l’ADEME, etc.).
Des bénéfices multiples pour les agriculteurs… et pour les territoires
Lorsqu’ils sont bien conçus, les projets combinant agrivoltaïsme et irrigation intelligente peuvent offrir une série d’avantages concrets :
- Réduction des consommations d’eau grâce à un pilotage fin et à la réduction de l’évapotranspiration.
- Sécurisation de la production face aux épisodes de canicule, de sécheresse ou de gel tardif, en modulant l’ombre et en assurant une disponibilité énergétique locale pour l’irrigation de secours.
- Diversification des revenus via la vente d’électricité, un atout important pour la résilience économique des exploitations.
- Amélioration du confort de travail sous des zones ombragées, en particulier pour le maraîchage ou les cultures spécialisées.
- Image positive auprès des consommateurs et des partenaires, en cohérence avec les objectifs de transition énergétique et de lutte contre le changement climatique.
Pour les territoires ruraux, ces systèmes peuvent également contribuer :
- à limiter la pression sur les nappes phréatiques,
- à stabiliser voire créer des emplois agricoles,
- et à renforcer l’autonomie énergétique locale.
Les points de vigilance : acceptabilité, biodiversité, gouvernance de l’eau
Tout n’est pas rose pour autant, et plusieurs questions se posent :
- Paysage et acceptabilité sociale : des structures trop denses ou mal pensées peuvent être perçues comme une artificialisation déguisée. D’où l’importance de respecter le cadre légal et d’associer les riverains et élus locaux en amont.
- Biodiversité et sols : la réduction de la lumière et les aménagements au sol doivent être conçus pour préserver la vie des sols, la flore spontanée et les corridors écologiques. Certains projets intègrent des bandes enherbées ou des couverts mellifères sous les structures.
- Gouvernance de l’eau : même si l’agrivoltaïsme permet d’économiser de l’eau, la ressource reste limitée. Les règles d’accès et de partage (schémas d’aménagement et de gestion des eaux, SDAGE) s’imposent à tous les usagers, agriculteurs compris.
- Dépendance technologique : l’irrigation intelligente repose sur des capteurs, des logiciels, de la connectivité. Il faut prévoir des solutions de secours, de la formation et un accompagnement technique.
Comment passer à l’action sur son exploitation
Pour un agriculteur ou un territoire qui souhaite se lancer, quelques étapes clés permettent de structurer le projet :
- Réaliser un diagnostic agronomique et hydrique : cultures, besoins en eau, disponibilité de la ressource, contraintes réglementaires locales.
- Étudier la faisabilité énergétique et économique : potentiel solaire, raccordement éventuel au réseau, coûts d’investissement, modèles de partenariat (fermier, coopérative, société de projet avec un développeur).
- Concevoir un système adapté aux cultures : choix entre agrivoltaïsme fixe ou dynamique, hauteur des structures, densité des panneaux, type d’irrigation (goutte-à-goutte, aspersion, micro-irrigation).
- Intégrer l’intelligence dans l’irrigation : capteurs, logiciels, automatisation, avec accompagnement par des organismes techniques (Chambres d’agriculture, instituts techniques, coopératives).
- S’appuyer sur les dispositifs d’aide et les cadres réglementaires : aides de la PAC, appels à projets régionaux, dispositifs ADEME, en veillant au respect strict des critères légaux de l’agrivoltaïsme.
La combinaison agrivoltaïsme + irrigation intelligente n’est ni une baguette magique, ni une simple mode. C’est un levier stratégique pour affronter un climat plus chaud, plus sec, plus incertain, tout en produisant plus d’énergie renouvelable et en gardant l’eau au cœur du système agricole. Le défi maintenant : concevoir des projets exigeants, transparents et mesurables, capables de prouver qu’ils tiennent leurs promesses pour l’eau, le climat… et les agriculteurs.
Sources : loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables ; décret n° 2024-318 du 8 avril 2024 relatif à l’agrivoltaïsme ; Code de l’énergie, art. L. 314-36 ; loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 dite « Climat et Résilience » ; Directive 2000/60/CE établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l’eau ; ADEME, « L’agrivoltaïsme en France », 2021 ; FAO, Save and Grow in practice, 2017 ; GIEC, 6e rapport d’évaluation, 2022 ; études INRAE/Sun’Agri sur l’agrivoltaïsme viticole et maraîcher.

