La PAC à l’heure verte : l’Europe cherche sa boussole écologique
Depuis plusieurs années, l’Union européenne s’est engagée dans une ambitieuse transition écologique. Au cœur de cette mutation : la Politique agricole commune (PAC), dont la réforme pour la période 2023-2027 introduit une nouvelle conditionnalité verte pour le versement des aides agricoles. Mais une question centrale agite le monde rural et les institutions européennes : quelle place accorder à l’agrivoltaïsme dans ce nouveau pacte agroécologique ?
Encore marginal il y a quelques années, l’agrivoltaïsme — cette combinaison ingénieuse entre production photovoltaïque et agriculture — suscite aujourd’hui autant d’espoirs que de controverses. À l’heure où l’Europe cherche à concilier souveraineté alimentaire, neutralité carbone et résilience climatique, ce mariage entre silice et chlorophylle pourrait bien devenir une alliance stratégique… à condition d’être bien encadrée.
Comprendre l’agrivoltaïsme : entre innovation et potentiel énergétique
L’agrivoltaïsme consiste à installer des panneaux solaires au-dessus ou à proximité des cultures agricoles. L’objectif est double : permettre aux agriculteurs de produire de l’énergie renouvelable tout en maintenant (voire en améliorant) leur rendement agricole. Ce système se décline en plusieurs formes : structures mobiles, panneaux surélevés, trackers solaires, etc.
Le concept s’intègre pleinement dans les objectifs du Pacte vert pour l’Europe (le European Green Deal), qui vise la neutralité carbone à l’horizon 2050. Car si l’agrivoltaïsme se développe à grande échelle, il pourrait contribuer de manière significative à la transition énergétique, tout en redynamisant économiquement les exploitations agricoles.
PAC 2023-2027 : qu’est-ce qui change pour l’agriculture ?
La nouvelle PAC, entrée en vigueur en janvier 2023, opère une réforme structurelle importante. Elle repose sur une architecture à trois étages :
- Une conditionnalité renforcée : seuls les agriculteurs respectant certaines normes environnementales pourront bénéficier des aides directes. Ces normes sont précisées dans les BCAE (Bonnes conditions agricoles et environnementales).
- Les éco-régimes : une nouvelle enveloppe d’aides (25 % des paiements directs) réservée aux agriculteurs engagés dans des pratiques agricoles bénéfiques pour l’environnement (agriculture biologique, haies, prairies permanentes, etc.).
- Les mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC) : elles sont maintenues dans le second pilier, mais doivent désormais répondre à des objectifs nationaux plus ambitieux, définis via les Plans stratégiques PAC (PSP).
Face à ce nouveau cadre, l’agrivoltaïsme questionne : peut-il s’intégrer dans les dispositifs environnementaux sans rompre l’équilibre agricole des exploitations ? Quels garde-fous servent de boussole à son développement dans la PAC ?
L’encadrement juridique encore flou de l’agrivoltaïsme
Jusqu’à récemment, les textes européens restaient muets sur l’intégration de systèmes agrivoltaïques dans la PAC. Les États membres étaient libres — au travers de leur Plan stratégique PAC national — d’en définir les contours. La France, par exemple, a choisi une ligne claire : seuls les projets agrivoltaïques à « finalité agricole essentielle » sont éligibles aux aides européennes et nationales.
Le décret n°2024-318 du 8 avril 2024, pris en application de l’article 54 de la loi n°2023-973 dite « loi APER » (Accélération de la production d’énergies renouvelables), précise les critères permettant de qualifier un projet d’agrivoltaïque :
- Maintien de la production agricole significative
- Maintien de la surface agricole utile (SAU)
- Amélioration ou protection de la production via les équipements installés
Si ces critères sont respectés, la parcelle peut continuer à être considérée comme zones agricoles (zone A ou N des PLU), et donc recevoir les paiements de la PAC.
Mais cette position n’est pas encore harmonisée à l’échelle européenne. Certains États, comme l’Allemagne ou l’Italie, ont des approches distinctes. L’harmonisation du cadre réglementaire reste donc un enjeu majeur, tant pour éviter le « forum shopping écologique » que pour sécuriser les investissements agricoles.
Quels bénéfices pour les agriculteurs ?
Pour les exploitants, l’agrivoltaïsme offre plusieurs avantages :
- Des revenus complémentaires grâce à la production d’électricité revendue ou autoconsommée sur l’exploitation
- Une résilience face aux aléas climatiques : les panneaux limitent le stress hydrique, protègent des vents violents ou de la grêle
- Un meilleur amortissement des investissements agricoles via la diversification
Selon une étude de l’ADEME de 2022, les rendements peuvent être maintenus, voire augmentés de 10 à 20 % sur certaines cultures (notamment les légumes sous climat chaud), grâce à une meilleure gestion de la lumière et de la température.
Mais attention : tous les systèmes ne se valent pas. Un projet mal conçu peut dégrader les sols, perturber la biodiversité ou réduire la surface effectivement cultivée. Les syndicats agricoles, notamment la FNSEA et la Confédération paysanne, appellent à la prudence face à une industrialisation de l’agrivoltaïsme sur des terres nourricières.
Vers une intégration ciblée et responsable dans la PAC
Le défi, désormais, est de structurer une approche européenne harmonisée et exigeante. Un objectif affiché par la Commission européenne dans ses recommandations du printemps 2023, en lien avec les objectifs de la stratégie « De la ferme à la fourchette » (Farm to Fork). Dans son rapport COM(2023)198, la Commission envisage d’inclure des lignes spécifiques sur l’agrivoltaïsme dans les lignes directrices PAC post-2027.
Plusieurs pistes sont sur la table :
- Créer une catégorie spécifique d’éco-régime pour les pratiques agrivoltaïques vertueuses
- Favoriser la participation des petites exploitations via des aides aux investissements
- Exiger une certification technique et environnementale des installations (audit de productivité agricole, études de biodiversité)
En France, le Plan stratégique national PAC 2023-2027 laisse encore peu de place explicite à l’agrivoltaïsme. Toutefois, plusieurs Régions commencent à tester des mécanismes de soutien couplés à des objectifs de neutralité carbone agricole (notamment Occitanie et Nouvelle-Aquitaine). L’alignement entre les enjeux régionaux, nationaux et européens sera clé pour que l’ambition verte de la PAC prenne racine jusque dans les sillons photovoltaïques.
Une énergie au service d’une agriculture en mutation
L’heure n’est plus à opposer agriculture et transition énergétique, mais à penser leur cohabitation intelligente. Bien encadré, l’agrivoltaïsme peut s’inscrire comme un levier stratégique dans la future PAC verte et soulager les exploitations les plus fragiles économiquement.
Mais pour cela, il doit rester au service de l’agriculture, et non l’inverse. Car comme le rappelait Irène Tolleret, députée européenne française et membre de la Commission AGRI du Parlement européen, au Forum Energaïa 2023 :
« L’agriculture ne doit pas devenir le faire-valoir foncier de la transition énergétique. L’énergie peut être un atout si elle soutient la durabilité agricole. »
L’avenir de la PAC s’écrira donc sans doute sous le double spectre du soleil et de la souveraineté alimentaire. Mais entre ambition climatique et production agricole durable, la lumière ne viendra que d’un compromis ferme et fertile.