Une synergie prometteuse entre photons et production

Face au double défi de l’alimentation durable et de la transition énergétique, l’agrivoltaïsme se positionne comme une innovation de rupture. L’idée ? Poser des panneaux solaires au-dessus des champs sans compromettre la productivité agricole. Ajoutez à cela les cultures sous serre, déjà expertes en optimisation lumineuse, thermique et hydrique, et vous obtenez une alliance à fort potentiel : produire de l’électricité tout en augmentant le rendement des cultures. Un combo gagnant, encore trop peu exploré.

Qu’est-ce que l’agrivoltaïsme exactement ?

L’agrivoltaïsme repose sur un principe simple : mutualiser une même surface pour deux usages productifs — l’agriculture et la production solaire — sans que l’un ne pénalise l’autre. Ce sont donc des installations photovoltaïques positionnées au-dessus des cultures ou des pâturages, qui protègent les plantes d’un excès de chaleur ou de rayonnement tout en générant de l’électricité.

Ce concept n’est pas seulement innovant, il est désormais encadré légalement. L’article L314-36 du Code de l’énergie, introduit par la loi du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables, précise que l’agrivoltaïsme doit :

  • Contribuer durablement à l’installation, au maintien ou au développement d’une production agricole
  • Apporter une amélioration agronomique, économique ou environnementale
  • Préserver la qualité de la production agricole

Autrement dit, on ne peut plus installer des panneaux solaires sur un champ agricole juste pour faire de l’énergie. Le projet doit avoir une véritable utilité agricole.

Des serres photovoltaïques : déjà une réalité en France

À la croisée de l’agriculture de précision et des énergies renouvelables, les serres photovoltaïques convainquent déjà certains producteurs, notamment en viticulture et maraîchage. Depuis plus d’une décennie, on les voit notamment dans les Bouches-du-Rhône ou la Drôme, où elles permettent :

  • De moduler la lumière naturelle et réduire le stress hydrique des plantes
  • De produire de l’énergie localement, diminuant les factures énergétiques
  • De prolonger les cycles de cultures en offrant des conditions optimales
Lire  L’agrivoltaïsme au service de la souveraineté alimentaire et énergétique des territoires

Ces installations permettent également de protéger les cultures contre les aléas climatiques extrêmes : grêle, canicule, vent violent… Un atout crucial dans le contexte du changement climatique.

L’alliance stratégique entre serre et agrivoltaïsme : complémentarité ou redondance ?

Pourquoi combiner deux systèmes qui semblent déjà accomplir la même mission ? Parce qu’en réalité, ils peuvent s’enrichir mutuellement.

Les serres traditionnelles utilisent du plastique ou du verre pour filtrer le rayonnement solaire. En y intégrant des panneaux solaires semi-transparents ou orientables, on rend la toiture productive, sans compromettre la photosynthèse. Couplé à un système agrivoltaïque pilotable (qui peut s’orienter ou se rétracter en fonction de la météo ou des besoins de la plante), cela permet un contrôle encore plus fin du microclimat.

Cette approche peut révolutionner certaines productions sensibles à la lumière ou à la chaleur : tomates, fraises, salades, basilic… Gérées intelligemment, les serres agrivoltaïques deviennent alors de véritables “usines à légumes bas carbone” où chaque photon compte.

Des rendements agricoles préservés, voire améliorés

Contrairement aux idées reçues, l’agrivoltaïsme n’implique pas nécessairement une baisse des rendements. Plusieurs études* montrent que dans certaines régions et pour certaines cultures, un ensoleillement modéré peut être bénéfique. L’INRAE a notamment démontré que certains végétaux bénéficient d’un léger ombrage pendant les périodes les plus chaudes, réduisant ainsi leurs besoins en irrigation.

Dans les conditions optimales, les gains peuvent être à double tranchant :

  • Énergétiques : production de 80 à 100 MWh/ha selon les installations
  • Agricoles : jusqu’à +10 % de rendement dans certaines cultures maraîchères, grâce à une meilleure gestion du stress thermique

(Sources : INRAE, Ademe, Agrivoltaïsme.info)

Un outil stratégique pour la souveraineté alimentaire et énergétique

Les crises successives (Covid-19, guerre en Ukraine, flambée des prix de l’énergie) ont montré la fragilité de notre système agroalimentaire et notre dépendance énergétique. L’agrivoltaïsme en serre pourrait justement cocher plusieurs cases clés d’un modèle de résilience :

  • Produire localement des denrées alimentaires et de l’énergie renouvelable
  • Réduire les surfaces consommées grâce à une double valorisation du foncier
  • Sécuriser des revenus pour les agriculteurs, via la vente d’électricité ou la location de toitures solaires
Lire  Agrivoltaïsme et élevage : synergies possibles entre production animale et énergie solaire

Ce type de modèle répond aussi aux objectifs du Plan énergie-climat présenté par le ministère de la Transition énergétique, visant une production de 100 GW d’électricité solaire en 2050.

Des freins réglementaires et économiques à lever

Malgré ses promesses, cette combinaison souffre encore d’un flou réglementaire. Beaucoup de collectivités ou de chambres d’agriculture peinent à interpréter les textes existants. De plus, certains projets échouent à l’étape de l’instruction, faute d’un modèle économique solide ou d’un cadre juridique adapté.

Le décret n°2024-318 du 8 avril 2024 précise désormais les conditions d’application de l’agrivoltaïsme. Il fixe notamment :

  • Un maximum de surface couverte (30 à 40 %) pour ne pas altérer la photosynthèse
  • Des critères de démontabilité des installations solaires
  • Une obligation de suivi agronomique des impacts

Mais la combinaison agrivoltaïsme + serre reste marginale dans les textes… et dans les esprits. Des appels à projets ciblés et une meilleure formation des acteurs ruraux pourraient contribuer à son essor.

Les pionniers qui montrent le chemin

Heureusement, certaines coopératives, start-up ou collectivités n’ont pas attendu le feu vert absolu pour expérimenter. À titre d’exemple :

  • Sun’Agri, précurseur de l’agrivoltaïsme dynamique, a collaboré avec des producteurs de serres méditerranéennes pour tester des solutions hybrides
  • Agriterra, dans les Hautes-Pyrénées, développe des serres photovoltaïques sur des terrains agricoles classés
  • Le Pays Basque explore des programmes de transition énergétique agricole en alliant pommes de terre primeurs et ombrières solaires

Ces expérimentations permettent d’affiner les modèles, de justifier les investissements, et surtout, d’inspirer d’autres territoires.

Un levier stratégique pour l’agriculture de demain

À l’heure où l’agriculture française navigue entre injonctions climatiques, pression foncière et besoin de rentabilité, la combinaison entre cultures en serre et agrivoltaïsme se présente comme un catalyseur d’innovations.

Lire  "La réglementation de l'agrivoltaïsme en France : état des lieux et perspectives"

Non, il ne s’agit pas de couvrir tous nos champs de panneaux solaires, mais d’apprendre à produire mieux, sur moins d’espace, avec plus d’intelligence. Produire un kilowatt tout en cultivant une salade, qui dit mieux ?

Alors que les générations futures chercheront autant des ressources énergétiques que alimentaires, les serres agrivoltaïques pourraient bien faire entrer l’agriculture dans une nouvelle ère. Lumineuse, littéralement.