Quand le soleil nourrit à la fois nos assiettes et nos ampoules

Et si une seule parcelle pouvait produire simultanément des légumes et de l’électricité ? Non, ce n’est plus un rêve d’ingénieur perché dans sa tour solaire, mais bien une réalité qui prend racine dans nos campagnes : l’agrivoltaïsme. À l’heure où la France cherche à renforcer sa souveraineté alimentaire tout en accélérant sa transition énergétique, cette technologie hybride est en train de s’imposer comme une solution d’avenir pour conjuguer agriculture et production d’énergie renouvelable. Mais comment fonctionne l’agrivoltaïsme ? Pourquoi séduit-il de plus en plus de territoires ruraux ? Et surtout, peut-il vraiment contribuer à une double indépendance stratégique ?

Qu’est-ce que l’agrivoltaïsme ?

L’agrivoltaïsme, contraction d’« agriculture » et « photovoltaïque », désigne l’installation de panneaux solaires sur des surfaces agricoles tout en maintenant une activité productive au sol. Concrètement, au lieu d’artificialiser des terrains pour produire de l’énergie solaire, on installe des panneaux surélevés ou mobiles au-dessus d’une culture ou d’un pâturage. Les cultures continuent de pousser, les animaux de paître… et l’électricité solaire est injectée dans le réseau. Un combo gagnant pour la ferme et le climat.

Cette technologie est en pleine expansion. Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), l’agrivoltaïsme pourrait permettre de produire, à l’échelle mondiale, jusqu’à 10 000 gigawatts en couvrant seulement 1 % des terres agricoles. Et sur le territoire français, l’Agence de la transition écologique (ADEME) estime à 40 % le potentiel des terres agricoles susceptibles d’accueillir des panneaux solaires de manière compatible avec les objectifs de souveraineté alimentaire (ADEME, 2021).

Manger et s’éclairer : la double promesse de l’agrivoltaïsme

À première vue, poser des panneaux sur un champ peut sembler contre-productif pour nourrir une population grandissante. Mais les nouvelles générations de technologies agrivoltaïques sont conçues pour travailler main dans la main avec l’agriculteur. Panneaux orientables pour maximiser la lumière pour les cultures, capteurs pour réguler l’humidité et l’ombre, pilotage intelligent en fonction de la météo : on parle d’un système dynamique, bien loin de la pose statique d’un panneau sur un toit.

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Résultat ? certaines cultures sensibles à des stress climatiques, comme la vigne ou les salades, bénéficient de l’ombre partielle pour se prémunir des canicules ou du gel printanier. Selon un essai mené par l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE) et EDF Renouvelables sur une parcelle de thym en climat méditerranéen, le couvert photovoltaïque a permis une meilleure régulation thermique du sol et une productivité agricole maintenue (INRAE, 2022).

Les bénéfices sont clairs :

  • Moins de stress hydrique grâce à l’ombre des panneaux.
  • Réduction de la température du sol et protection contre les UV.
  • Revenus complémentaires pour les agriculteurs grâce à l’électricité produite.
  • Réduction de la dépendance énergétique des fermes et des territoires.

En somme, l’agrivoltaïsme vient renforcer la résilience agricole tout en verdissant notre bouquet énergétique. Du soleil dans l’assiette, et dans la prise de courant.

Une arme pour la souveraineté des territoires

La notion de souveraineté, qu’elle soit alimentaire ou énergétique, est sur toutes les lèvres depuis les crises successives : guerre en Ukraine, flambée des prix de l’énergie, perturbations des chaînes alimentaires globalisées. Dans ce contexte, décentraliser la production d’énergie et renforcer l’autonomie agricole locale devient une nécessité stratégique.

L’agrivoltaïsme est ici un outil à double entrée. Grâce à lui, un territoire peut :

  • Réduire sa dépendance aux importations alimentaires en soutenant l’agriculture locale.
  • Produire localement de l’énergie renouvelable pour les foyers, les entreprises, ou les réseaux de chaleur.
  • Créer des emplois non délocalisables dans l’installation, la maintenance et le suivi des projets agrivoltaïques.

Certains départements pionniers comme la Drôme, l’Hérault ou les Pyrénées-Orientales misent déjà sur cette technologie pour verdir leur mix énergétique sans rogner sur leurs surfaces cultivées. À Tresserre (66), par exemple, un projet agrivoltaïque sur vignoble produit de l’énergie pour 2 000 habitants tout en protégeant la vigne du stress thermique (Région Occitanie, 2023).

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Un cadre légal en pleine structuration

Le développement de l’agrivoltaïsme ne peut se faire sans un encadrement solide. C’est pourquoi la loi relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables, promulguée le 10 mars 2023 (Loi n° 2023-175), consacre pour la première fois la définition juridique de l’agrivoltaïsme à l’article L.314-36 du Code de l’énergie. Elle précise que seuls les projets démontrant une synergie réelle entre production agricole et électrique pourront bénéficier des tarifs d’achat ou d’un contrat de complément de rémunération.

Le décret d’application de juin 2023 détaille quant à lui les différents typologies de projets autorisés et les indicateurs à suivre pour valider l’usage à but d’agriculture principale : maintien de la production, amélioration des rendements ou protection face aux aléas climatiques. Un garde-fou important pour éviter la transformation déguisée des terres agricoles en centrales solaires masquées.

En parallèle, le ministère de la Transition énergétique a lancé un groupe de travail avec les acteurs du monde agricole et les collectivités pour co-construire une doctrine d’implantation qui évite les conflits d’usage et maximise les retombées économiques et écologiques locales (MTE, 2023).

Entre méfiance et enthousiasme : des territoires en quête d’équilibre

Malgré son potentiel prometteur, l’agrivoltaïsme ne fait pas l’unanimité. Certains syndicats agricoles, comme la Confédération Paysanne, redoutent une industrialisation des terres et la montée en puissance d’opérateurs énergétiques au détriment du monde agricole. D’où l’importance de garantir que l’agriculteur reste acteur, et non simple locataire ou spectateur de son terrain.

Face à ces craintes, l’agrivoltaïsme ne doit pas être vu comme une baguette magique à saupoudrer sur toutes les campagnes, mais bien comme un outil stratégique à utiliser avec discernement. Il s’agit d’identifier les cultures compatibles, respecter les équilibres locaux, associer les élus et les habitants dans les projets, et veiller à une répartition équitable des bénéfices.

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Sous les panneaux, la vie !

Loin d’être une énième lubie technophile, l’agrivoltaïsme offre une réponse concrète à deux défis majeurs de notre temps : produire plus d’énergie sans étendre notre empreinte au sol, et protéger une agriculture nourricière menacée par les bouleversements climatiques. Avec les bons garde-fous et une vraie concertation territoriale, il peut devenir un levier précieux pour construire des territoires plus résilients, plus autonomes… et plus durables. En somme, sous les panneaux, la vie peut continuer – et même mieux encore, s’épanouir.