Alors que le changement climatique accentue les défis auxquels sont confrontés les agriculteurs — sécheresses, canicules, aléas météorologiques extrêmes — de nouvelles solutions émergent pour renforcer la résilience des exploitations agricoles. L’agrivoltaïsme, cette ingénieuse combinaison entre production photovoltaïque et activité agricole, apparaît non seulement comme une réponse au défi énergétique, mais aussi comme un levier économique pour le secteur agricole. Décryptage d’une innovation où le soleil devient un bienfaiteur à double casquette.
Qu’est-ce que l’agrivoltaïsme ?
L’agrivoltaïsme, parfois appelé agriphotovoltaïsme, consiste à installer des panneaux solaires au-dessus de parcelles agricoles sans empêcher la culture ou l’élevage de continuer en dessous. Loin d’être une occupation pure et simple des terres, il s’agit ici d’une synergie : les panneaux offrent une protection contre les excès d’ensoleillement ou de précipitations tout en générant de l’électricité verte.
La définition officielle a été récemment précisée par le législateur français. En effet, la loi d’accélération de la production d’énergies renouvelables du 10 mars 2023 (dite loi APER) introduit un cadre juridique pour l’agrivoltaïsme. L’article 54 encadre cette pratique en rappelant qu’elle ne doit pas compromettre l’activité agricole primaire, mais, au contraire, l’accompagner et la renforcer.
Un double revenu pour les agriculteurs
Historiquement dépendants de la seule production agricole, les exploitants peuvent, grâce à l’agrivoltaïsme, diversifier leurs revenus. Ce modèle leur permet de :
- Vendre l’électricité produite au réseau, via des contrats d’achat comme ceux encadrés par la Commission de régulation de l’énergie (CRE).
- Bénéficier de loyers versés par les exploitants de parcs solaires lorsqu’ils ne sont pas eux-mêmes producteurs d’électricité.
- Réduire leurs propres coûts énergétiques en autoconsommant une partie de l’énergie produite.
À l’heure où la volatilité des marchés agricoles fragilise de nombreux producteurs, cette source de revenus complémentaires leur offre un filet de sécurité bienvenu. Selon une étude de l’Institut national de l’énergie solaire (INES), l’agrivoltaïsme pourrait apporter entre 2 000 et 5 000 euros par hectare et par an à un agriculteur.
Un bouclier face aux effets du changement climatique
La canicule, les sécheresses à répétition et les épisodes de grêle de plus en plus fréquents mettent en péril les récoltes françaises. Les panneaux solaires, en filtrant la lumière, agissent comme des boucliers protecteurs pour certaines cultures sensibles :
- Ils limitent le stress hydrique des plantes en réduisant l’évaporation.
- Ils protègent contre les rayonnements solaires intenses, favorisant une meilleure qualité des fruits et légumes.
- Ils atténuent les coups de chaleur pour les animaux en élevage extensif, améliorant ainsi leur bien-être.
Une démonstration de ce potentiel est faite à Tresserre, dans les Pyrénées-Orientales, où l’entreprise Sun’R a développé un projet pilote avec des panneaux mobiles suivant la lumière du soleil tout en protégeant les cultures de pommiers et d’abricotiers (Source : Sun’Agri).
Quels types de cultures pour quels projets ?
Attention cependant : tous les projets agrivoltaïques ne se valent pas, et toutes les cultures ne s’y prêtent pas. D’après les recommandations de l’ADEME (Agence de la transition écologique), l’agrivoltaïsme est particulièrement adapté aux :
- cultures maraîchères nécessitant un ombrage modéré,
- plantes aromatiques et médicinales,
- arbres fruitiers sensibles aux coups de chaleur,
- élevages extensifs de petits ruminants.
Les cultures céréalières classiques (blé, maïs) sont, elles, moins adaptées car elles nécessitent un ensoleillement plein pour maximiser les rendements.
Un encadrement légal pour éviter les dérives
Face au risque de « solarwashing » — l’installation de panneaux solaires masquée derrière un vernis agricole —, la France a fixé plusieurs critères pour reconnaître un projet agrivoltaïque véritable :
- Le projet doit assurer le maintien ou l’amélioration du rendement agricole.
- Il doit démontrer une amélioration du bien-être animal ou végétal.
- La surface de panneaux doit être ajustée pour ne pas compromettre les activités agricoles primaires.
- Le projet doit être réversible pour garantir une possible remise en état des sols.
Ces exigences sont détaillées dans la loi APER, ainsi que dans la circulaire du Ministère de la Transition énergétique du 24 avril 2023 (source : Légifrance).
Des freins à lever pour accélérer son déploiement
Si l’agrivoltaïsme séduit de plus en plus, son essor est encore freiné par plusieurs obstacles :
- Des coûts d’installation élevés, notamment pour les structures mobiles ou modulables.
- Un manque de techniciens et de compétences spécifiques sur le territoire.
- Une acceptabilité sociale parfois difficile, car certains riverains associent à tort panneaux solaires et artificialisation des sols.
Pour soutenir ce développement, des aides publiques sont en discussion, tandis que plusieurs régions, comme l’Occitanie ou les Hauts-de-France, lancent des appels à projets spécifiques pour encourager les exploitants à se lancer.
Vers une agriculture résiliente, moderne et rentable
Loin d’être une utopie verte, l’agrivoltaïsme pourrait devenir l’un des piliers d’une agriculture du futur. Résilient face au changement climatique, capable d’améliorer le bien-être des cultures et des animaux, générateur de revenus supplémentaires, il répond à plusieurs défis contemporains d’un seul geste… solaire.
Réussir sa transition agrivoltaïque, c’est aujourd’hui planifier intelligemment les projets, privilégier la qualité agricole sur la seule rentabilité énergétique, et dialoguer avec les territoires pour bâtir une vision commune. Une promesse enthousiasmante pour conjuguer à la fois souveraineté alimentaire et transition énergétique.