Un duo gagnant : le solaire au service des éleveurs

La transition énergétique ne se limite plus aux toits des bâtiments ou aux champs de blé : elle investit aussi les prairies pâturées et les enclos des brebis. L’agrivoltaïsme, fusion entre agriculture et production d’énergie solaire, s’impose comme un levier d’adaptation au changement climatique. Quand il se conjugue à l’élevage, le concept prend une nouvelle dimension : créer des synergies entre panneaux photovoltaïques et bien-être animal. De quoi réconcilier productivité agricole, rentabilité énergétique et aménagement du territoire.

Qu’est-ce que l’agrivoltaïsme appliqué à l’élevage ?

L’agrivoltaïsme désigne l’installation de panneaux solaires sur des terres agricoles tout en maintenant une activité de production vivrière ou animale. Dans le cas de l’élevage, cela consiste à implanter des structures photovoltaïques sur les pâturages, les parcours de volailles ou encore les parcours extensifs caprins et ovins, permettant aux animaux de continuer à évoluer sous les modules solaires.

L’idée ? Mutualiser l’espace. Tandis que le soleil alimente les cellules photovoltaïques, les animaux, eux, bénéficient de l’ombre, d’un abri contre les intempéries… et les éleveurs d’un revenu supplémentaire.

Des bienfaits mesurables pour les animaux et les éleveurs

Les synergies entre l’élevage et les panneaux solaires ne sont pas qu’esthétiques. Elles apportent des avantages agronomiques, zootechniques et économiques concrets :

  • Bien-être animal amélioré : les moutons ou bovins trouvent des zones d’ombre naturelles grâce aux panneaux, réduisant leur stress thermique durant les fortes chaleurs. Une amélioration significative du confort des animaux, surtout l’été, avec des gains potentiels sur la production de lait ou la croissance pondérale.
  • Diminution des charges de gestion du site : les herbivores pâturent l’herbe sous les panneaux, réduisant la nécessité de fauchage mécanique, ce qui diminue les coûts d’entretien et l’impact carbone.
  • Revenus agricoles diversifiés : grâce aux loyers perçus de la part des énergéticiens, les éleveurs sécurisent une source de revenus annexe, précieuse face à la volatilité des cours agricoles. Cela accroît leur résilience économique.
Lire  L’agrivoltaïsme au service de la souveraineté alimentaire et énergétique des territoires

Le think tank français France Agrivoltaïsme résume cette approche comme une opportunité “d’intégrer les filières agricoles à la transition énergétique sans les exclure du foncier” (France Agrivoltaïsme, 2023).

Des exemples concrets sur le terrain

Des projets pilotes ont vu le jour un peu partout en France. L’un des plus emblématiques est celui de La Ferme Solaire des Crêtes, dans les Hautes-Alpes. Ici, un troupeau de 400 brebis pâture paisiblement sous une centrale photovoltaïque de 5 MWc. Les panneaux sont fixés à environ 2 mètres du sol pour permettre une libre circulation des animaux, tout en évitant les chocs avec les structures.

Autre exemple significatif : la société TSE (Technique Solaire Energie) développe un modèle de “toiture agrivoltaïque ombrière” spécifiquement pensé pour les zones de pâturage. Ces structures modulaires offrent une couverture partielle, laissant place à la lumière et à la biodiversité.

Un encadrement législatif en évolution

Le développement de l’agrivoltaïsme n’est pas sans risques : accaparement des terres agricoles, projets purement énergétiques sans réelle valeur pour l’élevage, artificialisation des sols… Pour éviter ces dérives, l’État encadre de plus en plus strictement cette pratique.

La Loi d’accélération de la production d’énergies renouvelables (APER), promulguée le 10 mars 2023, a apporté un cadre juridique clair pour définir ce qui peut – ou non – être qualifié d’agrivoltaïsme. Selon l’article L314-36 du Code de l’énergie, pour être considéré comme agrivoltaïque, un projet doit :

  • Maintenir une production agricole significative et durable
  • Avoir un impact positif ou a minima neutre sur l’activité agricole
  • Apporter une amélioration pour l’exploitant (réduction du stress thermique, protection contre les aléas, autonomie énergétique, etc.)
  • S’inscrire dans une logique de partenariat équilibré entre exploitant et énergéticien
Lire  "La réglementation de l'agrivoltaïsme en France : état des lieux et perspectives"

Ce cadre législatif invite les porteurs de projets à construire des modèles co-conçus, en impliquant directement les éleveurs. Une approche collaborative est donc primordiale.

Quels animaux peuvent cohabiter avec le solaire ?

Tous les élevages ne sont pas égaux face à l’agrivoltaïsme. Certains types de productions s’y prêtent naturellement mieux :

  • Moutons et brebis : hypermobiles, peu destructeurs des structures, ils maintiennent une végétation rase. Leur logistique s’adapte facilement aux centrales.
  • Caprins : plus agiles mais parfois plus “acrobates”, ils peuvent grimper sur les structures. Des ajustements techniques sont donc nécessaires.
  • Bovins : plus massifs, ils exigent une sécurité renforcée des installations (hauteur des panneaux, résistance au frottement).
  • Volaille plein air : les ombrages produits par les panneaux peuvent réduire la mortalité estivale due aux coups de chaleur et limiter le stress des poules ou pintades. Plusieurs projets de cohabitation existent, notamment sur volailles fermières du Sud-Ouest.

En revanche, pour les porcs ou les animaux nécessitant des parcours équipés (abreuvoirs, compléments), la mise en œuvre requiert des adaptations plus poussées.

Des défis à relever pour une cohabitation harmonieuse

Malgré les bénéfices, des questions techniques et éthiques subsistent :

  • Risque de surchauffe des modules à cause de l’encrassement par les animaux : les fientes ou frottements peuvent réduire leur rendement, nécessitant un entretien plus fréquent.
  • Sécurité électrique : éviter tout contact entre les animaux et les installations nécessite une conception réfléchie (câblages protégés, accès compartimenté).
  • Impacts environnementaux des matériaux : béton pour les fondations, peintures industrielles, extraits métalliques, etc. nécessitent d’être minimisés ou repensés.

Ces enjeux appellent une innovation continue et des partenariats entre start-up du solaire, éleveurs et chercheurs (comme ceux de l’INRAE) pour concevoir des systèmes agroénergétiques optimisés.

Lire  "La réglementation de l'agrivoltaïsme en France : état des lieux et perspectives"

Vers un avenir plus résilient

Face aux canicules récurrentes, à l’érosion économique de certaines filières d’élevage et à l’objectif européen de décarbonation d’ici 2050, l’agrivoltaïsme n’est pas une option marginale. Il représente un pont entre deux mondes : celui de l’énergie renouvelable et de l’agriculture durable.

Loin d’opposer photovoltaïque et élevage, ces modèles hybrides peuvent dessiner une nouvelle ruralité, où les brebis broutent paisiblement sous un soleil… qu’elles partagent avec le réseau électrique.

Encore faut-il que ces projets respectent les fermes, les sols… et ceux qui en vivent.